Un
petit garçon tué par 3 pit-bulls en Suisse... Une partie
hystérique de la Suisse est prête à faire la chasse aux sorcières et
brûler des centaines de pit-bulls sur les bûchers de son indignation,
de sa colère, de son insécurité, de sa peur...
Éditorial - Dr. Joël Dehasse
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Dates et
événements:
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Décembre 2005.
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Il y a 4-5 ans
des événements comparables avaient entraîné une démarche
constructive: Colette Pillonel m'avait demandé de participer à
l'élaboration d'un séminaire de formation des
vétérinaires pour diagnostiquer la dangerosité des chiens.
Près d'une centaine de vétérinaires étaient venus à cette
formation. Dans la foulée de ce double week-end de formation, avait
commencé une formation vétérinaire comportementaliste de 150
heures. Dans la foulée de la formation des vétérinaires s'est
faite la formation des éducateurs canins (en Suisse Romande) comme
auxiliaires en thérapie comportementale pour les chiens. Ce furent des démarches privées très efficaces.
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Aujourd'hui,
malgré la formation des vétérinaires et des éducateurs, malgré les
campagnes d'éducation du public, malgré des campagnes efficaces de
réduction de dangerosité canton de Neuchâtel, par exemple), malgré
l'inefficacité des interdictions raciales (canton de Bâle,
Royaume-Uni, France...), certains médias réussissent en Suisse à
manipuler les sentiments d'un certain public en poussant sur les boutons
de l'insécurité. Une vague de peur et d'indignation déferle sur la Suisse et, comme toujours dans pareil cas de ferveur "religieuse", on va élever des bûchers et brûler des sorcières. La sorcière du jour, c'est le Pit-bull (et quelques autres races). C'est un superbe exemple d'agression redirigée. Il faut que quelqu'un soit responsable: ce ne peut pas être l'enfant, ni ses parents qui l'ont laissé dans la rue à proximité de chiens dangereux, ni les douaniers qui ont contrôlé que les papiers étaient ok, ni la police qui n'a pas répondu aux signalements de chiens dangereux, ni les voisins, ni ... ; ce sera le propriétaire des chiens qui est incarcéré et les chiens qui seront condamnés et tous les chiens de même type, molossoïdes de type Pit-bull.
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Faut-il
rappeler qu'une race n'est pas un
groupe de clones et que si un pit-bull est létal, cela ne signifie pas
que tous les pit-bulls sont mortels. Une caractéristique comportementale a une répartition gaussienne (en courbe de Gauss, en courbe en cloche); on trouvera des labradors et des golden retrievers (etc.) plus dangereux que des pit-bulls. L'analyse comportementale scientifique des races n'a pas été faite. Tous les chiens ont une génétique commune; ils descendent tous des mêmes ancêtres; ils peuvent tous se reproduire les uns avec les autres. Dès lors, la notion de race est très surfaite. La fédération cynologique propose des standards de race, qui sont à 95-99% des typologies physiques (somatotypes). Actuellement, scientifiquement, on n'a jamais pu lier des groupes de caractéristiques comportementales (des personnalités) à des somatotypes. Si jamais on arrivait à décrire l'ensemble des comportements d'une race, ils ne seraient jamais spécifiques, puisqu'ils se retrouveraient dans de nombreuses races. Et si quand bien même on y arrivait, cette description changerait de pays en pays...
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Néanmoins, si
on veut un chien de combat (de
chiens), on peut sélectionner sur des caractéristiques
comportementales: résistance à la douleur, désir et acharnement à
combattre, puissance musculaire, manque de contrôle dans l'attaque et
les morsures... On a fait ce type de sélection pour le Pit-bull de
combat (qui n'a jamais été reconnu comme une race de chien), on peut
le faire pour n'importe quelle race de chien. En 5 ans, on peut très
bien fabriquer du labrador de combat (le somatotype du labrador a par
ailleurs certains éléments en commun avec celui du Pit-bull); on peut
faire de même avec n'importe quelle race. De nombreuses races ont eu
mauvaise réputation parce qu'elles ont été sélectionnées et
entraînée au combat (contre des chiens, des taureaux, des 'esclaves',
etc.) ou parce qu'elles ont été associées avec des groupes humains
(nazis, punks...).
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N'oublions pas
aussi que, depuis quelques années, les médias
adorent le Pit-bull qui fait vendre des millions de journaux.
Les médias n'ont aucune intérêt si un chow-chow ou un labrador ou un
cocker défigure un enfant. Dans son collimateur se trouvent les
molossoïdes. L'information pré-mâchée pour le public est
biaisée. Une fois le Pit-bull éliminé, les médias se trouveront
un autre chien-bouc-émissaire. Et n'oublions pas que les médias ne prennent pas la responsabilité des événements qu'ils déclenchent. Un journaliste suisse n'ira pas en prison s'il est à l'origine de la haine du public pour certains chiens ou même pour la mise à mort de centaines de chiens... Mais ne condamnons pas les médias, ils ne font que pousser sur les bons boutons de l'insécurité du public. Les gens de la société occidentale ont peur; ils vivent dans la peur; mais comme ils n'ont pas une bonne guerre à survivre, et que la grippe aviaire est venue trop tôt, il faut bien trouver un bouc émissaire. Une partie du public suit aveuglément le coupable tout désigné par les médias. Bon, après l'holocauste des Pit-bulls, c'est logique, aucun enfant ne sera plus tué par un Pitt. Cela signifie-t-il que aucun enfant ne sera tué par un chien? En Belgique, il y a quelques années, une petite fille a été tuée par 3 Rottweilers, 2 ou 3 ans avant, un garçon avait été déchiré par des bergers belges. On peut continuer la liste. On oublie de relativiser...
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Je comprends
qu'on soit déstabilisé par la mort d'un enfant sous les crocs des
chiens. La mort d'un enfant est
toujours terrible pour les parents. Pour les spectateurs directs ou
indirects (Il faut dire que beaucoup de gens sont scotchés devant la
télévision où on leur sert la mort quasiment en direct; ils sont
consommateurs d'horreur, comme les romains adoraient voir les chrétiens
se faire dévorer par les lions dans le cirque ). Les spectateurs
directs et indirects vivent un choc post-traumatique; ils
imaginent leur propre enfant, un être qu'ils aiment, déchiré par les
dents d'un chien... Ils vivent l'événement comme s'ils y avaient été
directement confrontés. Ils vivent aussi leur impuissance... En effet,
s'ils avaient été confrontés à l'accident, seraient-ils
intervenus?
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Mais... il
faut relativiser. Combien d'enfants sont tués par les voitures, par les
vaccins, par les médicaments? Combien d'enfants meurent de tomber
des bras de leurs parents? "En 1995 les accidents de la circulation ont tué 375 enfants et en ont blessé 15 463..." (en France). On n'a jamais interdit les voitures... On n'a d'ailleurs jamais étudié si les voitures rouges tuaient plus d'enfants que les bleues... "Les intoxications ont provoqué 758 décès en 1999, soit un taux de mortalité de 1,3/100 000. Parmi celles-ci, 600 ont été causées par des médicaments et 158 par d’autres substances ou des gaz." ... La suppression des pit-bulls ne changera rien à la santé / sécurité publique. Mais, en effet, les enfants ne seront plus tués par des Pitts, mais par des labradors, des bergers, ... Ma stupéfaction, à moi, c'est le retour du racisme public en Suisse... On commence par les Pit-bulls, ensuite...?
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On oublie de
relativiser... En effet, quels sont les bienfaits du chien pour la
société? Et quels sont les risques? On voudrait tous les bienfaits, mais sans les risques. Mais dans la vie, rien ne fonctionne comme cela: ni les voitures, ni les médicaments, ni même les gens... Pourquoi demander l'impossible aux chiens?
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Que font les vétérinaires? D'abord, doivent-ils faire quelque chose sous la pression du politique? Pourquoi ne pas laisser la réaction émotionnelle publique s'éteindre toute seule? Elle n'est jamais que le reflet des formes-pensées de la société... Imaginer qu'on puisse l'arrêter avec quelques mots raisonnables serait une douce illusion (on ne raisonne pas l'émotionnel!). Si les vétérinaires veulent faire quelque chose, sachant qu'ils n'ont ni pouvoir politique, ni puissance médiatique, c'est de rester intègres face à leur éthique et leur expertise scientifique. Ils peuvent dire et répéter que supprimer des races ne changera rien au niveau sécurité publique, que le risque 0 n'existe pas et n'existera jamais, que la vie est risque... S'ils veulent montrer leur force, ils devraient faire bloc, rester calmes et sereins dans la tempête, ne pas céder au 'chantage' du politique. Si le politique veut une liste de races, qu'il en prenne la responsabilité. Si le politique veut élaborer de nouvelles lois, qu'il en prenne la responsabilité. Déjà que les lois actuelles (de sécurité publique) ne sont pas respectées, à quoi bon inventer de nouvelles règles?
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L'observation
en métaposition permet de surprenantes constatations. Au-delà du débat sur les races de chiens et la montée du racisme lors de peur collective, c'est l'insécurité publique qui est étonnante à observer. La peur de la mort n'a jamais été aussi présente qu'aujourd'hui... Le pouvoir des médias est incroyable sur le public: (en général et sauf exception) les médias ne raconteront pas des choses heureuses, ils ne diront pas combien d'enfants sont nés et heureux, ils diront ceux qui sont morts; ils se nourrissent du malheur, parce que ça se vend bien, parce que le public est nécrophage. Et pourquoi? Parce que les gens sont malheureux et qu'en voyant plus de malheur autour d'eux ils se sentent relativement mieux et moins malheureux...
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Au niveau métaphysique,
on peut aussi se demander pourquoi les Pit-bulls sont tellement pointés
du doigt et haïs par la société. La philosophie du miroir permet de
se dire qu'ils représentent un miroir de ce qui est inacceptable, non
accepté, et haï, dans l'homme. Qu'est-ce? Ce qui est insupportable chez le Pitt, c'est cet aspect sociopathe, hors règle, non conforme, explosif et donc insécurisant. C'est un des éléments que la société ne supporte pas en elle-même et chez ses membres; et elle ne l'acceptera certainement pas d'un chien qu'elle veut soumis, obéissant, et respectueux des règles imposées par son maître, comme elle veut que les hommes soient respectueux des règles et des autres, au détriment, si nécessaire, d'eux-mêmes, de leur propre liberté et créativité. Alors, plutôt que de s'attaquer aux Pit-bulls et autres personnages dérangeants et insécurisants, pourquoi la société ne jetterait pas un regard dans le miroir sur elle-même, sur la façon dont elle s'impose de plus en plus de règles au point de déclencher, de temps en temps, des explosions réactionnelles et revendicatrices. Mais, bien entendu, il est plus facile d'éradiquer les Pit-bulls que son propre emprisonnement!
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Dans cette
histoire, comme souvent, l'homme ne se comporte-t-il pas exactement
comme le Pit-bull qu'il accuse? Ne réagit-il pas de façon explosive,
non contrôlée... et ne va-t-il pas mettre à mort d'autres individus
vivants? L'homme sera-t-il le Pit-bull du
Pit-bull? Et ne va-t-il pas, en plus, se donner raison de
mettre à mort ces autres êtres vivants? En fin de compte, ne fait-il
pas exactement la même chose? Mais, contrairement aux Pit-bulls qu'il va condamner, l'homme qui décidera la mise à mort gardera les mains propres: il ne sera pas celui qui se chargera de la sale besogne; il l'imposera à d'autres...
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Référence:
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© Dr Joël Dehasse - www.joeldehasse.com 2006-06-14 |