Génétique et comportement

© Dr. Joël Dehasse, vétérinaire comportementaliste, Bruxelles.
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Table des matières

Introduction - Des lois de Mendel ... - Le débat Nature/Culture - Environnement (non) partagé - Enquête sur la génétique du comportement du chien - Génétique des pathologies comportementales du chien - Sélection - Dans quel environnement doit-on placer les chiots ? - Conclusions - Références

 

Introduction

Donner un aperçu de l’influence génétique dans les comportements chez le chien en quelques pages est une gageure. Les informations seront succinctes et vous mèneront des lois de Mendel à la génétique quantitative, et de celle-ci à l’effet circulaire des influences réciproques de la génétique et de l’environnement.

Des lois de Mendel à la génétique quantitative

La génétique est codée dans les chromosomes, constitués de gènes. Chaque gène possède deux variantes, appelées allèles, une dominante et une récessive. Ces gènes se transmettent de façon indépendante, à l’exception des gènes qui sont situés très proches l’un de l’autre sur un chromosome ; ces gènes sont dits liés. L’ensemble des gènes donne le génotype. Ce que l’on observe, le phénotype, est dépendant du génotype, mais seulement en partie.

Les mutations génétiques spontanées sont fréquentes. Le gène modifié apparaît brusquement et se retrouve chez les descendants, mais bien entendu pas chez les ascendants. D’autre part, des gènes sont répétés dans un chromosome. Au fur et à mesure des descendances, ces gènes répétitifs deviennent de plus en plus répétés et aboutissent parfois à des expressions phénotypiques.

Des caractéristiques phénotypiques, comme les comportements, sont liés à plusieurs gènes (parfois des dizaines ou des centaines) dont les effets s’additionnent. Le caractère n’est plus « tout ou rien », par exemple « agressif ou non-agressif », mais distribué de façon continue.

 

 

De plus un gène n’agit pas que sur un - mais bien sur de nombreux -comportements. Cet effet est appelé pleiotropie.

En médecine humaine, quand un membre de la famille souffre de schizophrénie, le risque d’être atteint est de 48% pour un vrai jumeau, de 17% pour un faux jumeau, de 9% pour un parent ou un enfant. Cette analyse quantitative démontre l’importance de l’influence génétique. Ce type d’analyse n’est pas faite chez le chien et est malaisée à faire, les vrais jumeaux étant rares, les membres du portée étant tous simplement frères et sœurs, voire demi-frères demi-sœurs s’ils sont de pères différents. 

 

Le débat Nature-culture

Pour obtenir des clones par sélection, il faut répéter des accouplements consanguins pendant 30 générations. Dans ces lignées clonées, les variations du phénotype dépendent de l’environnement. Aucune lignée de chien n’est clonée de cette façon. Il aurait fallu des accouplements consanguins pendant au moins 40 ans.

Dès lors comment mesurer la part de la génétique et la part de l’environnement ?

La génétique quantitative le fait chez l’humain surtout par la comparaison des jumeaux. Cette analyse n’est pas possible chez le chien. Que reste-t-il ? Les études d’héritabilité. Ces études statistiques sur des populations se basent sur des critères chiffrés (quantitatifs). C’est ainsi que l’on a calculé que 50% du QI  (humain bien entendu) s’explique par la génétique. Cette valeur de 50% donne généralement le chiffre maximal lié à l’influence du génotype sur le phénotype.

Mais ce n’est pas parce que un caractère comportemental est sous influence génétique qu’on ne peut y échapper ; les traitements sont possible.

Environnement (non) partagé

Un environnement commun et partagé influence les comportements des individus qui y vivent, du moins pendant un certain temps. Plus l’individu s’approche de l’âge adulte, plus l’influence de cet environnement diminue et celui de la génétique s’accroît. On pourrait écrire que plus on prend de l’âge, plus on ressemble à ses parents.

Mais la génétique joue un rôle dès le plus jeune âge, puisque les chiots d’une même portée ont des tempéraments différents. Chaque tempérament va modeler l’environnement de développement. Un chiot impulsif et agressif empêchera sa mère de le coucher sur le dos et il apprendra moins aisément les postures de soumission et le contrôle de sa motricité et de ses morsures. Dès lors on pourrait écrire que l’on crée ses propres environnements en partie pour des raisons génétiques. De plus, dans un même environnement, le vécu de chaque enfant est perçu différemment.

La génétique donne une prédisposition à des environnements particuliers. Un environnement de développement enrichi favorise plus les chiots génétiquement incompétents que les chiots génétiquement compétents. 

 

Enquête sur la génétique du comportement du chien

Le chien a 39 chromosomes. Il a 88% de son matériel génétique en commun avec l’humain, ce qui ne le rend pas, loin de là, 88% humain. Les jumeaux sont rares, l’adoption vers 7 à 12 semaines dans un environnement de parents adoptifs d’une espèce différente rend les analyses encore plus complexes que chez l’être humain.

Les premières études systématiques ont été faites par Scott et Fuller dans les années 1950 après développement de races consanguines et invention de tests quantitatifs. Leurs résultats démontrent que la génétique joue un rôle certain, mais aucun de ces résultats n’est applicable en dehors du laboratoire et aux chiens d’aujourd’hui.

Quelles conclusions tirer de cet énorme travail ? Scott et Fuller ont démontré

  •  l’importance de l’effet maternel dans l’exploration, les tentatives de fuite, les morsures à la mise en laisse ;

  • aucune corrélation entre les paramètres physiques (le somatotype : longueur, couleur du poil, etc.) et les paramètres comportementaux ; ce qui signifie qu’on ne peut attacher un ensemble quelconque de comportements à un standard de description physique ;

  • un effet génétique certain sur les vocalises de détresse à 5 semaines.

Pour le reste, que peut-on affirmer aujourd’hui ?

En absence de tests comportementaux quantitatifs appliqués dans des études statistiques de populations, on ne peut que donner des avis subjectifs. C’est le cas pour l’agressivité dans les races de chiens. 

 

Génétique des pathologies comportementales du chien

L’élevage consanguin a permis de sélectionner une lignée de pointers peureux en Arkansas. On connaît aussi la tétée du flanc chez le doberman, le tournis du berger allemand et du bull terrier, la chasse aux mouches inexistantes du cavalier King Charles et plus récemment les labradors, tervueren, bergers des Pyrénées, etc. hyperactifs, les rottweilers chasseurs de reflets et de leur propre ombre. 

 

Sélection

La dysplasie de la hanche, sur laquelle on sélectionne, n’a qu’une héritabilité de 25%. La plupart des tempéraments ont le même niveau d’héritabilité. Pourquoi ne pas sélectionner sur les traits comportementaux ? L’effet serait d’augmenter progressivement la présence du caractère sélectionné dans la lignée. 

Dans quel environnement doit-on placer les chiots ?

Enrichir le milieu de développement permet de favoriser tous les chiots, l’appauvrir permet de sélectionner les chiots les plus passe-partout. Dès lors, pour la vente au particulier, pour des performances optimales dans tous les milieux, il vaut mieux enrichir.

Pour la stricte sélection des futurs géniteurs, il est préférable de mettre un environnement standard et d’éliminer tous les chiots inadéquats. 

Conclusions

On peut sélectionner sur le comportement ; c’est aussi efficace que sur les critères physiques. Pour des critères qui n’auraient que quelques gènes responsables, les changements se feraient en quelques générations. C’est ainsi qu’on aboutit à des lignées très dissemblables dans une même race. Si les critères ont des centaines de gènes responsables - et c’est le cas de nombreux comportements - la famille, la lignée, la race, gardera une très grande hétérogénéité. Cette grande variabilité est un critère d’adaptation de l’espèce canine à tous les environnements qu’elle a colonisés.   

Références

  • Murphree OD, Dykman RA, Peters JE. Genetically determined abnormal behavior in dogs; results of behavioral tests, Conditioned Reflex, 2, 199-205. 1967

  • Plomin, Defries, McLearn, Rutter. Des gènes au comportement. De Boeck Université, 1999.

  • Scott John P. & Fuller John L. Dog Behavior: The Genetic Basis. The University of Chicago Press, 1965

 


© Dr Joël Dehasse - Médecin vétérinaire comportementaliste - article chargé le 2 mars 2002
www.joeldehasse.com - 08 mai 2006