Chiens dangereux...? Races dangereuses?
Vrai ou canular ?

© Dr Joël Dehasse

On en parle, on en parle... sans arrêt. La question mobilise les politiques, les médias, le public, les vétérinaires... On crée des lois, on réalise des émissions de radio et de télévision... On crie que certaines races sont dangereuses et on veut les interdire... C'est une véritable épidémie: aucun pays n'est épargné, sauf les pays en guerre...
Alors, vrai ou canular ? Si c'est un canular, c'est sans doute la plus mauvaise blague du début du millénaire.
 
Les faits: on compte environ
  • 1 personne tuée par un chien pour 5 millions d'habitants par an, soit 0,2 /million/an
    • 3 personnes tuées par une voiture par jour pour 10 millions d'habitants, soit 0,3/million/jour ou 100/million/an (500 fois plus que par les chiens)
    • Le paludisme tue 3.000 enfants/jour en Afrique (pour comparer)
    • La vaccination contre la variole cause 1 cas d'encéphalite / 5.000 vaccinations (40% étant mortelle) et en France on compte (comptait) 2 millions de vaccinations par an, soit une estimation de 160 morts/an (par comparaison - et personne n'en parle)
  • 20 morsures de chien par jour par million d'habitants, soit 20/million/jour ou 7300/million/an (incluant blessés et non blessés)
    • 1949 accidentés de la route/ million d'habitants / an
  • On ne connaît pas les statistiques des morsures par races
  • Les médias à sensation ne parlent que des morsures graves de chiens de certaines races
Mon hypothèse : Elle se base sur une méta-analyse subjective de la situation.
  • Le public, qui vit dans un monde sécurisé (c'est à dire qui n'est ni en guerre, ni en famine), semble aimer les films d'horreur; il a besoin - ou envie - de se faire peur. Il ralentit pour regarder les accidents de voiture sur la route (causant des embouteillages). Il regarde les morts à la télévision et dans les journaux (tout en se cachant les yeux et disant que c'est horrible). Même les enfants sont saturés de morts dans leurs dessins animés. Le public a besoin de sa dose quotidienne de peur et d'horreur.
    Ce public achète des journaux, regarde la télévision et écoute la radio, qui parlent de morts, de blessés graves, d'accidents... Mais particulièrement d'accidents spectaculaires et distants de son quotidien.
  • Les médias, qui ont besoin de vendre leur support médiatique pour gagner leur vie, offrent aux gens leur dose d'horreur et de peur. Cela rapporte de l'argent. Même beaucoup d'argent. Mais ils doivent éviter de faire peur aux gens avec des choses qui leur sont trop proches: alors on va trouver des chiens qui ne sont pas très fréquents et à qui la majorité du public trouve une sale gueule. En fait les chiens n'ont pas une sale gueule, mais ils sont associés à des groupes marginalisés dont le public a peur: des punks, des ados errants, des jeunes - sans travail - organisés en gang, etc., en fait tout ce qui sort des bonnes convenances, des conventions des honnêtes gens. Les médias ont trouvé une liste de races de chiens: des pitbulls, des amstaffs, des rottweilers et d'autres chiens inconnus.
    Et ça marche. Les gens adorent. Ils achètent. Dès qu'un Pit mord, il fait la 'une' des journaux et du journal télévisé; et les gens achètent, regardent les images encore et encore. C'est une mine d'or pour les médias.
  • A un moment, la machine s'emballe. Les gens qui jouaient à se faire peur commencent à y croire, et à avoir vraiment peur. Les médias aiment ça, ils s'enrichissent d'avantage.
  • Les gens qui ont vraiment peur demandent à être sécurisés. Mais comment peut-on être sécurisé d'une croyance, d'une illusion?
  • C'est à ce moment que le public interpelle les responsables de leur sécurité : le politique : bourgmestres, députés, sénateurs, ministres...
    Le politique répond à la demande du public. Bien entendu, il doit faire quelque chose sinon il ne répond plus à la demande du public et n'est plus réélu. Le politique doit garder son job, son gagne-pain, son siège. Donc il cherche une solution pour réduire le problème.
    Mais le problème n'est pas le nombre de morsures de chiens ni le nombre de tués par an mais l'illusion d'insécurité.
    Le politique, intelligent ou démagogique, a trouvé une réponse facile et bon marché. Il suffit d'interdire les chiens médiatisés. Dès lors, on n'en parlera plus dans les médias, les gens ne se plaindront plus, et tout rentrera dans l'ordre.
    Pour faire bonne mesure, le politique prend contact avec les spécialistes; les experts remettent leurs rapports que le politique place dans la poubelle après survol superficiel (sans le lire). Les rapports ne donnent pas de solution au problème de l'insécurité mais bien pour réduire le nombre de morsures de chiens dans la population (surtout dans les familles).
    Le politique ne s'embarrasse pas d'étude épidémiologique (fréquence de morsure dans la population) avant la promulgation de lois raciales (racistes) et ne cherche pas non plus à savoir l'effet de ces lois sur la santé et la sécurité publiques. Non, puisque ce n'est pas son problème. Son vrai problème, c'est l'illusion d'insécurité que le public s'est créée par sa faim d'horreurs.
  • Ce que personne n'avait prévu - et c'est vraiment amusant - c'est que les minorités, qui possèdent ces chiens bannis, se trouvent valorisées par l'image (terrorisante) de leur chien. Le Pitbull fait peur? "Chouette, je vais faire peur si j'ai un Pitbull", se dit le minus qui joue au macho. Et, d'autre part, le soi-disant ami des chiens, qui affirme qu'aucun chien ne naît méchant mais le devient par l'effet de son maître, acquiert un Pitbull pour montrer à tous que le Pitbull n'est pas un chien méchant.
    Et, du coup, grâce au coup de publicité des lois antiraciales, on vend / achète 10 fois plus de races bannies.
    Le public voit donc 10 fois plus de chiens soi-disant dangereux dans la rue. L'illusion d'insécurité s'accroît.
    Les médias parlent encore plus des chiens bannis. Les médias vendent encore plus. les médias se font concurrence. C'est à qui en parlera le plus. Le public achète plus. Le public dépense encore plus d'argent pour s'acheter de l'insécurité.
    Le politique fait "plus de la même chose" (toujours inefficace) : il renforce les lois antiraciales et demande d'avoir au plus vite des experts pour évaluer les chiens potentiellement dangereux.
  • Qui va jouer expert ? Les vétérinaires, les éducateurs, des experts spécialement formés...? Mais qui va les former ? En Suisse il y a 5 ans, en France aujourd'hui, en Belgique demain, on a formé des vétérinaires pour réaliser des expertises sur des chiens possiblement dangereux.
    Mais qui va les payer ? Qui va payer l'addition ? Le Ministère de la Santé, de la Sécurité Publique, de l'Agriculture, de la Justice, les bourgmestres...? On ne sait pas encore. Ce qui est certain, c'est que, en fin de compte, c'est le peuple qui payera la facture. Et quelque part, c'est logique, puisque c'est bien le peuple - le public - qui a créé l'épidémie par sa soif d'horreur. Les médias, eux, ne prendront bien entendu pas la responsabilité dans l'amplification du phénomène; eux, ils encaissent les sous, c'est tout. Le politique a fait ce qu'il fallait pour être réélu. On se trouve à la fin avec des lois en plus, de l'administration en plus. Pour pas grand chose, voire pour rien.
Conclusion: je conclus qu'il s'agit d'un canular pas drôle.
Alors, que reste-t-il de toute cette histoire ? Et que faire ?
  • Il reste les faits, le nombre important de morsures de chiens: la plupart de ces morsures sont peu dangereuses, mais elles existent néanmoins.

  • Il existe bien un problème de santé publique. La plupart des morsures se font dans la maison, par un chien bien connu des personnes: leur chien, celui de la famille, des voisins...

  • Il existe aussi un problème de sécurité publique: des chiens mordent dans la rue, mais moins que des chiens qui mordent à la maison... Ces chiens doivent être sous contrôle de leur propriétaire. Il y a des lois qui obligent à ce contrôle. Il n'est pas utile de créer de nouvelles lois mais il est important de faire respecter les lois actuelles. (A quoi servirait de créer de nouvelles lois qui ne seront pas mieux respecter que les lois actuelles?)

  • On peut réduire le nombre de morsures de chiens facilement.
    Il suffit de prendre conscience qu'un chien, ça mord, même si on l'aime et s'il nous aime.
    C'est incroyable le nombre de gens qui croient qu'aimer empêche l'agression. Et c'est aussi incroyable le nombre de gens qui confondent agression et méchanceté (et dominance).
    Dès qu'on se rend compte qu'un chien peut mordre, on prend les mesures simples pour éviter les morsures.
    • On apprend à détecter les signes avertisseurs de morsures
    • On apprend à décoder le langage postural du chien et ses mimiques
    • On ne laisse jamais un enfant seul avec un chien
    • On respecte le chien et on ne l'utilise pas comme un jouet dont on peut user et abuser (savez-vous que 80% des chiens manquent d'activité? C'est déjà un manque de respect, une maltraitance passive).

Je prends la responsabilité de mes hypothèses.
Je les trouve particulièrement amusantes et pertinentes.
Il y a plein d'autres sujets avec lesquels les gens aiment se faire peur: les réserves limitées de pétrole et de gaz, le réchauffement de l'atmosphère, la vitesse excessive sur les routes..., par exemple.
Il y a une quantité de croyances populaires qui sont devenues comme des vérités que personne ne remet en question: prendre un bain après avoir mangé peut causer une hydrocution, le lait est riche en calcium (1gramme par litre ! ) et est nécessaire pour la croissance de l'enfant, ... Dans d'autres cultures, la poudre de corne de rhinocéros est bonne pour l'érection... Et voilà qu'on tue les rhinos pour une illusion ! Chez nous on risque de tuer les Pit-bulls pour une illusion.
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