Évaluation émotionnelle du chat en consultation

ã Dr Joël Dehasse - Bruxelles
Placé sur Internet le 15 novembre 1997, modifié le 9 novembre 1999
http://www.geocities.com/joeldehasse/a-francais/chat-emotion.html

Introduction

Comme l'écrit Dantzer, la principale différence entre l'homme (l'animal) et la machine n'est plus d'ordre intellectuel mais d'ordre émotionnel. Les émotions sont des phénomènes essentiellement personnels, mais peuvent être étudiées parce qu'elles présentent, outre la composante subjective (600 termes différents en langue anglaise), une expression communicative et des modifications physiologiques.

Chez l'homme la reconnaissance (% de personnes interprétant correctement l'émotion observée chez autrui) de l'expression émotionnelle varie de 90% (joie) à seulement 50% (peur). Chez l'animal, les éléments de l'éthogramme doivent être "interprétés" et l'émotion "déduite" de la situation (extrapolation à partir des émotions humaines, convention entre observateurs). Des erreurs d'interprétation sont possibles.

Canon a démontré dès 1929 la "réaction d'urgence" d'un chat face à un chien qui l'attaque [nous dirions agression d'autodéfense par peur]: piloérection, tachycardie, hyperglycémie, tachypnée, dilatation des pupilles (plus une contraction de la rate et donc une augmentation du nombre de globules rouges circulants, une facilitation de la coagulation du sang, un accroissement du nombre de lymphocytes, une dilatation des bronches, etc.). Ces modifications étaient reproductibles par l'injection d'adrénaline (effets métaboliques et cardiaques) et de noradrénaline (action vasomotrice) (Dantzer).

Chez l'homme, cependant, la même dose injectée induit euphorie ou colère suivant la situation environnementale (Vincent). L'adrénaline serait libérée aux dépens de la noradrénaline lorsque l'incertitude (absence de contrôle) l'emporte sur la détermination à l'engagement (Vincent).

L'émotion s'accompagne de réponses viscérales dont sont responsables le système nerveux autonome, les neuropeptides, neuromédiateurs et hormones diverses: outre les catécholamines interviennent: glucocorticoïdes, ACTH, CRF, opioïdes endogènes, prolactine, ocytocine, vasopressine, angiotensine, hormones sexuelles, et tous les neuromédiateurs des circuits activés: dopa, GABA, sérotonine, etc. et cela en interaction avec l'hérédité et la cognition (expérience antérieure, anticipations, etc.).

L'expression de l'émotion (activité des muscles faciaux) déclencherait directement les réactions neurovégétatives spécifiques (Ekman, in Vincent); le mécanisme serait soit une rétroaction d'origine périphérique, soit une connexion entre les programmes moteurs corticaux et l'hypothalamus.

Le phénomène est donc complexe. Est-il possible de déterminer en clinique certains paramètres de ces expressions émotionnelles? C'est le pourquoi de l'étude suivante.


Étude clinique

Il s'agit d'une étude clinique réalisée en consultation sur 220 chats, afin de déterminer si les paramètres comportementaux (exploration, agression [par irritation et/ou par peur], échappement, inhibition) et quelques indicateurs d'activation du système autonome (pouls, diamètre pupillaire, transpiration [la conductance cutanée eut été plus objective]) sont corrélés.

(Ne sont repris ci-après que les résultats significatifs pour p < 1%.)

Population étudiée

Chats sains, présentés pour vaccination ou petite chirurgie, choisis au hasard, laissés libre d'agir pendant 5 minutes avant prise des paramètres physiologiques.

Race: européens (75%), siamois (12%), autres (13%).

Sexe: Mâles (48,6%), Femelles (51,4%), gonadectomisés (69,3%), entiers de moins de 6 mois (16,8%), entiers de plus de 6 mois (13,9%). Le sexe influence le comportement: les mâles sont moins agressifs, plus inhibés, fuient moins et explorent plus que les femelles).

Pouls: moyenne 201/minute (195 si on ne garde que les chats de plus de 1 an) (minimum 106, maximum 300).

L'âge ayant une incidence majeure sur les paramètres physiologiques, certains éléments de l'étude ont été limités aux chats de plus d'un an. Les chatons transpirent peu; les chats âgés perdent la régulation de la transpiration (réaction "tout ou rien", transpiration nulle ou abondante). Les chatons explorent énormément; l'inhibition augmente avec l'âge; les chats de 5 mois à 3 ans montrent une incidence significative et non expliquée du comportement agressif en consultation; le comportement d'échappement reste équivalent quelque soit l'âge).


Résultats (résumé)

Transpiration & Comportement: l'inhibition augmente la transpiration; l'agression ne modifie pas significativement la transpiration par rapport à l'exploration; l'échappement (réaction de crainte) augmente modérément la transpiration.

Diamètre pupillaire & comportement: nous prenons les chats qui explorent comme témoins des conditions d'éclairement de la clinique; l'agression augmente modérément la mydriase, l'échappement et l'inhibition l'augmente fortement.

Pouls & comportement: le pouls n'est pas modifié par l'agression (par irritation) ou l'inhibition, il est accéléré par les tentatives d'échappement.

Transpiration & diamètre pupillaire: la transpiration augmente avec la mydriase.

Pouls & diamètre pupillaire: aucune relation significative.

Pouls & transpiration: transpirer légèrement s'accompagne d'une accélération du pouls, transpirer abondamment s'accompagne d'un ralentissement du pouls.


Conclusions

Paramètres physiologiques / comportement

 

agression

échappement

inhibition

transpiration

å =

ä

ä ä

diamètre pupillaire

ä

ä ä

ä ä

pouls

=

ä

=

Face à une agression potentielle (situation inconnue, anticipation de manipulations), le chat réagit suivant trois modes comportementaux possibles: l'agression, l'évitement/échappement et l'inhibition. Il y a une différence notable dans les relations entre les comportements et les paramètres physiologiques étudiés.

  Enfin, méfions-nous du chat aux pupilles dilatées qui ne laisse pas sur la table d'examen des traces de transpiration, c'est celui qui a le plus de probabilité de réagir agressivement lors de manipulations.

En conclusion, une objectivation émotionnelle est possible par l'observation comportementale et l'analyse de quelques indicateurs physiologiques; cependant des études plus poussées sont nécessaires afin de déterminer la biochimie des différences constatées.

 


Bibliographie:

Dantzer R. (1988): Les Émotions , Presses Universitaires de France, Paris (isbn 2.13.040268.2), 122 p.
Dehasse Joël (1990): Comportement du chat en consultation , Premières Journées de Porquerolles, CNVSPA Sud-Est, 28/30 sept. 90.
Vincent J-D (1986): Biologie des passions , Odile Jacob, Paris (Isbn 2-02-010356-7) 406 p.


Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste

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