L'anxiété de séparation chez le chien,
une analyse multi-modèles
Dr Joël Dehasse, vétérinaire comportementaliste
http://www.geocities.com/joeldehasse/a-francais/anxsep.html
Voir articles grand public n° 13 et 48.
Introduction
Les termes "anxiété de séparation" n'ont pas la
même valeur sémantique en France et dans les pays
d'obédience anglo-saxonne. Quelle est la signification du mot
anxiété? Et séparation signifie-t-il isolement? D'autre
part, n'est ce pas normal pour un animal social comme le chien de ne pas
apprécier d'être isolé de ses congénères?
Dans cet article, je vais définir ce qui se cache derrière ses
mots.
Définitions
Nous avons à définir les deux mots qui précisent la
dénomination de la pathologie "anxiété de
séparation"
Séparation:
La séparation est le résultat de la distanciation de deux ou plus
de deux éléments joints (mêlés, ensemble). Le chien
est-il séparé de:
-
Tout le monde, c'est à dire qu'il est seul
-
Qui que ce soit, c'est à dire que la présence de n'importe qui
l'apaise
-
Quelqu'un en particulier, seul individu qui peut l'apaiser, cet individu
étant un humain ou un animal
La durée de cette séparation doit aussi être définie:
-
Un période courte
-
N'importe quelle durée
-
Une durée bien spécifique
Et il faut préciser l'âge du chien qui subit cette
séparation:
-
Un chiot
-
Un chien pré-pubère
-
Un chien jeune adulte après la puberté
-
Un chien adulte
-
Un chien âgé
L'anxiété présente des définitions
différentes suivant le modèle auquel on se réfère.
Je reprendrai à Karen Overall ses définitions pour le
modèle anglo-saxon et à Patrick Pageat les siennes pour le
modèle français.
Dans le modèle anglo-saxon, les troubles anxieux se déclinent
sous les noms de: anxiété normale, peur, phobie,
anxiété pathologique, trouble panique, et anxiété
généralisée.
Dans le modèle français, on retrouve la crainte, la peur, la
phobie, l'anxiété paroxystique, l'anxiété
intermittente et l'anxiété permanente.
Une troisième modèle est celui de la psychiatrie humaine,
représenté par le manuel statistique et diagnostique des troubles
mentaux, le DSM, dans sa 4
ème
édition. Il reconnaît la peur, les troubles anxieux dont font
partie: l'attaque de panique, la phobie spécifique, le trouble
obsessionnel-compulsif, l'anxiété
généralisée et l'hypocondrie.
Un quatrième modèle est éthologique et définit deux
émotions normales, que sont la crainte et la peur.
-
La crainte est la réaction en face d'un objet, d'un stimulus, d'un
contexte stressant, en milieu ouvert, accompagné de réponses
autonomes mineures et de comportements adaptatifs, comme la fuite et
l'agression. La crainte n'empêche pas d'explorer le stimulus après
la première réaction d'autodéfense.
-
La peur est une réaction également orientée par un objet,
un stimulus ou un contexte, lorsque tout évitement ou échappement
est impossible; elle s'accompagne de réponses autonomes importantes et
de comportements d'autodéfense comme l'inhibition ou l'agression par
peur, ainsi que de la production éventuelle de comportements
substitutifs.
Les autres terminologies appartiennent à la pathologie.
-
La phobie est, autant suivant le DSM que P. Pageat, une réaction
analogue à la crainte ou à la peur, en présence ou en
anticipation d'un objet, d'un stimulus ou d'un contexte déterminé
et objectivable. Pageat distingue des phobies simples, lorsque le groupe de
stimuli appartient au même groupe sensoriel (bruits d'explosions par
exemple), et des phobies complexes, lorsque ces groupes de stimuli
appartiennent à des groupes sensoriels différents et/ou lorsqu'il
y a généralisation d'un groupe de stimuli à un autre
concomitant. La définition anglo-saxonne est différente; il
s'agit "de réactions de peur intenses et de développement
rapide qui ne s'éteignent pas par une exposition graduelle au cours du
temps", c'est à dire par le processus d'habituation.
-
L'attaque de panique, écrit le DSM, est une période d'inconfort
ou de peur intense au cours de laquelle des signes autonomes se
développement rapidement pour atteindre un maximum après une
dizaine de minutes. Cette crise dominée par des signes
neurovégétatifs a été définie comme
anxiété paroxystique par Pageat. Je n'ai pas trouvé de
définition précise dans Overall.
-
Le trouble anxiété généralisée est, dans le
DSM, constitué de tension, d'appréhensions, d'inquiétude,
d'anticipation de dangers inconnus, de signes neurovégétatifs, de
nervosité, de vigilance, d'irritabilité, de troubles du sommeil,
entraînant des handicaps sociaux. Le modèle anglo-saxon en fait un
trouble accompagné d'hyperréactivité
neurovégétative, d'une augmentation de l'activité motrice,
de la vigilance, de l'exploration, qui interfère avec un nombre
d'interactions sociales. Il n'y a pas de définition comparable dans le
modèle français, même si, nous le verrons,
l'anxiété intermittente, anciennement appelée
anxiété globale, peut s'en rapprocher.
-
L'anxiété est définie par Pageat comme un état
réactif, comparable à la peur, en réponse à toute
variation du milieu externe ou interne. Elle entraîne une invalidation de
l'individu qui en souffre. Je dirais que l'on peut reconnaître certains
états anxieux au fait qu'il s'agit de comportements de peur à des
stimuli parfois objectivables, mais variables: un jour c'est tel stimulus, un
autre jour c'est tel autre. Pageat modélise l'anxiété en
trois stades suivant l'invalidation dans le temps: l'anxiété
paroxystique, l'anxiété intermittente et l'anxiété
permanente.
-
L'anxiété intermittente est constituée d'un état
anxieux, dont l'invalidation est temporaire, accompagné d'agression
d'autodéfense (irritation et/ou peur), de réponses autonomes, et
d'un état de vigilance accrue qui, lui, est permanent.
-
L'anxiété permanente est un état anxieux, dont
l'invalidation est continue, caractérisé par un état
d'inhibition et par la présence de comportements de substitution
(boulimie et auto-léchages, entre autres). Il n'y a pas d'états
comparables dans le DSM ou dans le modèle anglo-saxon.
-
Le trouble obsessionnel compulsif est, dans le DSM, un ensemble d'idées
récurrentes, persistantes, absurdes, envahissantes, entraînant des
activités répétitives, stéréotypées,
sans plaisir et sans apaisement. La définition est reprise dans le
modèle anglo-saxon. Pageat semble refuser cette définition en
raison de l'impact cognitif des idéations dont nous n'avons aucune
objectivation chez l'animal. Les activités
stéréotypées existent néanmoins chez le chien et on
peut en retrouver dans l'anxiété permanente.
Une fois définis ces terminologies de base qui montrent
déjà la séparation des différents modèles,
ils nous faut envisager la terminologie complète
"anxiété de séparation".
Le DSM a une définition; il s'agit d'un trouble du développement,
ayant débuté avant l'âge de 18 ans, accompagné
d'anxiété, de détresse, de peur, de refus d'aller dormir,
lors de la séparation, ou l'anticipation de séparation, de
figures d'attachement majeures ou de la maison.
Dans le modèle français, il s'agit d'un trouble anxieux
lié chez un chien en période prépubertaire, lié
à la persistance de l'attachement primaire, accompagné
d'infantilisme et de signes de détresse et de réponses autonomes
lors de la séparation, ou de l'anticipation de séparation, de la
personne d'attachement (et elle exclusivement).
La définition dans le modèle anglo-saxon est très
différente. Il s'agit d'un trouble anxieux, accompagné de signes
comportementaux et physiques de détresse exprimés par le chien en
absence ou impossibilité d'accès ou anticipation de
séparation du client; les manifestations sont plus sévères
dans les 20 minutes suivant la séparation. Dans cette définition,
le critère "attachement" est exclu.
La différence entre les deux modèles en médecine
vétérinaire rend difficile, voire impossible, toute discussion et
compréhension. Est-ce important?
Importance de la modélisation
Le modèle, le paradigme, va affecter
-
Les propositions et stratégies thérapeutiques
-
La modélisation du trouble au niveau neurotransmission et endocrinien
-
Le choix d'une médication psychotrope
-
Les résultats d'études comparatives et d'expérimentations
cliniques
Comment résoudre ces difficultés? Parmi les solutions possibles
pour résoudre les difficultés inhérentes aux
différences de paradigmes, je propose ci-après une analyse de la
problématique en partant de la base, c'est à dire des
symptômes, pour remonter à la modélisation. C'est une
approche multisymptomatique qui permettra d'apporter des solutions pratiques.
Signes et symptômes des troubles anxieux liés à la
séparation
Ces symptômes se retrouvent chez le chien et dans son
écosystème.
Chez le chien, ces symptômes sont divisibles en deux catégories:
liés au contexte de la séparation ou non liés à ce
contexte.
Signes chez le chien.
1. Symptômes liés au contexte de la séparation
11. Signes productifs
Destructions dispersées liées à des comportements
exploratoires (léchages, mâchonnements, grattages du sol ou des
murs,
).
Destructions focalisées au niveau des issues, liées à des
tentatives d'échappement (griffades des portes,
).
Vocalisations de détresse (jappements, aboiements aigus, hurlements,
).
Activités locomotrices: déambulations, retournements des tapis,
12. Signes déficitaires
Manque de vocalisations, à l'exception de plaintes.
Inhibition locomotrice: le chien reste à la même place, sans
bouger, quasiment tout le temps de la séparation,
généralement en decubitus ventral ou latéral, mais sans
dormir.
Hyporexie ou anorexie, hypodipsie ou adipsie.
13. Signes liés à des réponses autonomes
Eliminations de détresse (miction et/ou défécation de
stress, en petites quantités éparpillées sur le trajet du
chien), parfois énurésie et/ou encoprésie.
Vidange des sacs anaux.
Salivation plus ou moins abondante.
Dyspepsie, diarrhée, halètements, etc.
14. Signes liés à des activités de substitution
Boulimie, pollakidipsie (prise fréquente de boisson) accompagnée
ou non de polydipsie.
Auto-léchages avec trois stades d'évolution progressive, de
l'humidification du poil, au granulôme de léchage à la
stéréotypie de léchage entraînant des
automutilations parfois sévères.
Activités locomotrices généralement
stéréotypées: déambulations en cercle, vocalises,
etc.
15. Signes en relation avec le départ
Signes d'excitation avec réponses du propriétaire,
évoluant en rituels de départ.
Signes de détresse et réactions autonomes légères
en anticipation de la séparation et se conditionnant aux indices de
départ (prendre un manteau, se saisir de ses clés,
).
16. Signes en relation avec le retour
Accueil avec excitation, appelée "joie" par les
propriétaires, mais constituée en fait de comportements non
régulés, évoluant en rituel de retour.
Comportements d'apaisement, de soumission, d'échappement et
d'évitement lorsque le propriétaire montre une vigilance accrue,
présente des signes d'irritabilité ou punit le chien au retour.
2. Symptômes chroniques, voire permanents, non liés directement
à la séparation.
21. Persistance de l'attachement primaire
Pour bien comprendre ces signes, il faut définir l'ontogenèse de
l'attachement et du détachement, ce qui sera le sujet du chapitre
suivant. Je ne reprends ici que les signes caractéristiques:
Le chien suit la figure d'attachement partout, d'une pièce à
l'autre, même dans les toilettes,
Il présente une vigilance accrue lorsque la figure d'attachement se
déplace ou se prépare à bouger. Il ne se repose que
lorsque la figure d'attachement reste immobile.
Le chien présente des comportements exploratoires centrés sur la
figure d'attachement, se rapprochant sans cesse d'elle, s'apaisant et
retournant explorer à petite distance (comportements exploratoires en
étoile).
22. Infantilisme
Au moment ou après l'âge physiologique de la puberté, le
chien présente une absence de comportements sexuels, une absence de
hiérarchisation, un manque d'exhibition des postures et des
comportements dominants, des interactions avec les autres chiens et humains
à l'aide de postures d'apaisement et d'appel aux jeux. Il peut
présenter des séquences partielles de défense territoriale.
23. Signes anxieux non directement dépendants du contexte de
séparation
Réponses autonomes et attaques de panique.
Comportements de substitution.
Inhibition, manque d'initiative.
Comportements d'agression d'autodéfense.
Des troubles du sommeil, essentiellement des réveils nocturnes, alors
que le cycle en lui-même est respecté.
Signes dans l'écosystème.
On retrouve bien entendu les rituels de départ, les rituels de retour et
l'hyperattachement.
-
Les signes liés au contexte du départ.
-
propriétaire marque le moment du départ de vocalises, de
comportements de don d'attention divers (se pencher vers, caresser, parler,
donner un objet,
). L'effet est d'augmenter intensivement l'attention que
reçoit le chien avant la séparation, constituée, elle,
d'une disparition quasi totale de cette attention (à part la persistance
des odeurs sociales).
2. Les signes liés au contexte du retour.
L'acceptation et le renforcement positif de l'accueil excité du chien,
établissant progressivement le rituel de retour.
La punition du chien, après l'acte de nuisance, lorsque les nuisances
sont découvertes ou lorsque le chien présente des comportements
d'apaisement, interprétés avec anthropomorphisme comme des
comportements de culpabilité.
L'augmentation de vigilance du propriétaire qui recherche activement des
nuisances.
-
L'hyperattachement.
-
peut être culturel. Le chien a une représentation
d'équivalent ou de leurre de bébé ou d'enfant. Les gens
n'ont pas assez de connaissance sur l'ontogenèse de l'attachement et du
détachement chez le chien.
-
L'hyperattachement peut être individuel. Les raisons majeures sont le
besoin d'être aimé, une tendance anxieuse ou dépressive des
propriétaires, la nécessité d'avoir un chien
thérapeute. Ces raisons ne sont pas limitatives.
L'attachement et le détachement.
Je reviens ici sur quelques définitions liées à
l'attachement et au détachement.
Ontogenèse de l'attachement primaire.
La mère s'attache à ses chiots dès la naissance. Sans
doute le chiot est-il producteur d'une phéromone d'attachement? Ensuite,
après quelques jours, peut-être seulement à l'ouverture des
yeux, le chiot s'attache à sa mère. Elle devient la figure
apaisante, qui permet l'exploration en étoile autour de son pôle
sécurisant.
Ontogenèse du détachement
A l'éruption des dents de lait, la tétée devient
douloureuse et la mère s'éloigne activement de sa portée.
Cette distanciation se poursuit progressivement par l'enseignement des postures
de soumission et du contrôle de soi. Le détachement
s'établit progressivement ou brusquement au moment de la puberté.
Les adultes, sans doute activés par la production de phéromones
sexuelles chez les adolescents, les querellent jusqu'à ce qu'ils se
hiérarchisent correctement. A ce moment, l'attachement monoparental est
rompu au profit d'un attachement au groupe et à son territoire.
En cas d'absence de détachement, le chien pré-adolescent semble
maintenu dans une situation infantile artificielle. Il ne subit pas la
métamorphose sexuelle et ne se hiérarchise pas correctement.
Transfert de l'attachement primaire
L'attachement primaire est transféré de la mère à
un parent adoptif au moment de l'acquisition. C'est au parent adoptif de
réaliser activement le détachement. C'est au groupe social
d'adoption de permettre un attachement multiple et d'éviter un
attachement à une figure d'attachement unique.
Attachement secondaire
C'est un attachement qui se réalise lorsque le détachement
primaire a été réalisé, à l'âge normal
ou de façon précoce. C'est le processus normal de transfert de
l'attachement monoparental au groupe et à son habitat.
Mais le chien peut réaliser un attachement secondaire avant que le
détachement primaire soit réalisé. A ce moment, la figure
d'attachement n'est pas considérée comme une figure parentale ou
équivalente, mais elle est néanmoins apaisante lors de contextes
stressant. C'est fréquemment le cas dans le syndrome de privation.
Hyperattachement secondaire
L'attachement secondaire est devenu excessif et le chien ne trouve d'apaisement
qu'en présence de la figure d'attachement; en son absence, ou en
anticipation d'une distanciation, le chien présente des signes de
détresse, un trouble anxieux.
Ce problème se rencontre dans des états anxieux et
dépressifs, notamment chez le chien jeune en syndrome de privation ou
chez le chien âgé.
Contrôle
La chien dominant ou challenger tente d'obtenir un maximum de privilèges
liés à un rang élevé. Parmi ces privilèges
se trouve le contrôle des déplacements des membres du groupe et
particulièrement des individus du sexe opposé. Le chien,
manifestant une vigilance accrue, suit sans arrêt une personne du groupe
familial et manifeste des comportements d'excitation émotionnelle lors
(d'anticipation) de la séparation, mimant en quelque sorte un
hyperattachement. Parmi ces manifestations émotionnelles, on retrouve
des réponses autonomes modérées, des éliminations
sociales, des destructions focalisées des issues, du vol et
mâchonnement de lingerie, etc.
Le diagnostic.
Un diagnostic est posé sur un ensemble de symptômes, jamais sur un
symptôme isolé. On peut évoquer plusieurs descriptions
cliniques.
Description clinique n°1:
-
Désordre apparu avant la puberté.
-
Persistance de l'attachement primaire.
-
Signes productifs de détresse lors de (l'anticipation de) la
séparation de la figure d'attachement.
-
Comportements sociaux infantiles.
-
Rituels de départ et de retour.
-
tableau est celui de l'anxiété de séparation, type
anxiété intermittente, dans le modèle français
(Pageat).
Description clinique n°2:
-
Désordre apparu avant la puberté.
-
Persistance de l'attachement primaire.
-
Signes déficitaires de détresse lors de (l'anticipation de) la
séparation de la figure d'attachement.
-
Comportements sociaux infantiles.
-
Rituels de départ et de retour.
-
Comportements de substitution: boulimie, auto-léchage, etc..
-
tableau est celui de l'anxiété de séparation, type
anxiété permanente, dans le modèle français
(Pageat).
Description clinique n°3:
-
Signes autonomes ou comportementaux de détresse lors (d'anticipation)
d'absence d'accès au client
-
Destructions, éliminations, vocalises et salivation -
intensifiées dans les 20 minutes qui suivent la séparation.
-
Signes d'anxiété par anticipation
-
tableau est celui de l'anxiété
(généralisée) de séparation dans le modèle
anglo-saxon. Il peut partiellement répondre à de nombreux
syndromes dans le modèle français, par exemple:
anxiété avec hyperattachement 2aire, syndrome de privation au
stade 2, trouble de la hiérarchie, syndrome
hypersensibilité-hyperactivité, syndrome (dépressif)
hyperattachement de l'adulte, dépression d'involution, etc.
Description clinique n°4:
-
Signes d'anxiété lors de la séparation
-
Chien âgé
-
Perte des acquis de propreté
-
Eventuellement: troubles du sommeil, perte des interactions sociales,
désorientation.
-
tableau décrit la dysfonction cognitive dans le modèle
anglo-saxon.
-
on y inclut les troubles du sommeil (avec anxiété hypnagogique,
cycle non respecté avec rêve précoce) et l'involution
(exploration orale, perte des acquis éducatifs,
), on retrouve le
tableau de la dépression d'involution du modèle français
(Pageat).
Diagnostics différentiels.
Dans le modèle anglo-saxon, il convient de réaliser un diagnostic
différentiel à partir de chaque symptôme. En voici quelques
exemples non limitatifs:
-
Eliminations: apprentissage incorrect, incontinence, marquage,
-
Destructions: jeux, hyperactivité,
-
Vocalises: jeux, facilitation sociale, peur,
-
Réponses autonomes: salivation,
Dans le modèle français, le diagnostic différentiel porte
sur des syndromes, c'est à dire une collection organisée de
symptômes.
-
Trouble de la hiérarchie, appelé sociopathie (Pageat). Une
remarque est essentielle: le diagnostic d'anxiété de
séparation et celui de trouble de la hiérarchie sont
incompatibles.
-
Syndrome de privation
-
Syndrome hyperattachement de l'adulte
-
Dépression d'involution
Traitement médical.
La première question à se poser, en fonction du modèle
auquel on se rattache, est: faut-il donner une médication?
Il ne faut pas prescrire de médication:
-
On se trouve dans des conditions physiologiques de crainte de l'isolement chez
un animal social capable d'apprendre et de trouver une homéostasie
-
Le détachement est en cours: il se produit toujours à ce moment
une situation émotionnelle liée au réarrangement des
relations sociales.
Il faut prescrire une médication lorsque le chien ou le système
souffrent.
Quelle médication choisir? Plusieurs critères sont à
envisager.
1. La neurotransmission la plus affectée. En voici quelques indications
majeures:
Noradrénaline: halètements, hypervigilance,
hypersensibilité,
Acétylcholine: activation du système digestif,
Dopamine: anticipation, activité locomotrice, agression
d'autodéfense, stéréotypie, instrumentalisation, manque
d'autocontrôle, activation du système digestif,
Sérotonine: hyperattachement, comportements impulsifs, agression
compétitive, activités de substitution, boulimie,
2. Approche théorique.
Quel est la médication de choix lors de prédominance de:
-
Noradrénaline: bêtabloquant (Propranolol, 5 à 10 mg/kg en
deux prises), alpha-2-agoniste (clonidine, préparation galénique
à longue durée d'action, dose de 0,15 microgramme / 10 kg/jour en
deux prises).
-
Dopamine: neuroleptique, IMAO-B (sélégiline, à la dose de
0,5 mg/kg en une prise le matin).
-
Sérotonine: inhibiteur sélectif de recapture (ISRS)
(fluoxétine, fluvoxamine, paroxétine), tricyclique
sélectif ou à prédominance sérotoninergique
(clomipramine). Toutes ces molécules sont administrées à
la dose de 0,5 à 4 mg/ jour en deux prises.
-
Noradrénaline et sérotonine: tricyclique mixte non
spécifique (clomipramine, amitriptyline à la dose de 0,5 à
4 mg/ jour en deux prises).
-
Noradrénaline et dopamine: IMAO-B (sélégiline)
-
Sérotonine et dopamine: association d'un tricyclique et d'un
neuroleptique (clomipramine et pipanperone, à la dose de 20 à 40
mg par mètre carré de surface corporelle, en deus prises par
jour), d'un ISRS et d'un neuroleptique, ou utilisation d'un tricyclique ou d'un
ISRS seul, étant donné l'effet régulateur, voire
inhibiteur de la sérotonine sur la dopamine.
-
Noradrénaline, dopamine et sérotonine: association d'un
tricyclique mixte et d'un neuroleptique.
3. Approche pragmatique.
Le chien ne venant pas seul à la consultation, il faut tenir compte de
la demande du propriétaire, gêné par les nuisances. Il faut
donc se demander si un seul traitement médicamenteux sera suffisant,
s'il faut faire évoluer le traitement au cours du temps et avec quel
traitement commencer? Quelle est l'urgence? Quels sont les signes qui peuvent
attendre? Comment satisfaire le client et améliorer la pathologie
émotionnelle du chien et débuter un détachement?
-
La satisfaction du client. Il est rare que le client consulte au tout
début des signes, en général il attend d'être
épuisé par les nuisances pour prendre votre avis. Dès
lors, on doit pouvoir garantir une amélioration rapide des signes
productifs.
-
La plainte des voisins pour aboiements: travailler sur la neurotransmission
noradrénergique et dopaminergique.
-
La plainte des clients eux-mêmes pour les destructions
(noradrénergique, dopaminergique), pour insomnie (parce que
eux-mêmes ne dorment plus) (sérotoninergique, histaminergique,
noradrénergique), pour granulôme de léchage
(sérotoninergique, dopaminergique), etc.
Certains médicaments ont des effets directs ou tardifs.
-
Effets directs: effets sédatifs histaminergiques, effets anti-impulsifs
sérotoninergiques, effets dopaminergiques de réduction des
productions comportementales locomotrices.
-
Effets retards de 3 à 6 semaines: effet régulateur dopaminergique
et sérotoninergique de la sélégiline, effet
régulateur sérotoninergique (down-regulation) des ISRS et des
tricycliques.
4. Effets secondaires.
Les effets secondaires varient avec classe de molécules et la
molécule elle-même. Il m'est impossible de reprendre ici tous ces
signes en détails.
-
ISRS: effets sédatifs et hyporexigènes.
-
Tricycliques: effets sédatifs et réduction du jeu; augmentation
des symptômes anxieux pendant 3 semaines (effet activateur
noradrénergique); effets anticholinergiques similaires à
l'atropine (rétention urinaire et fécale, sécheresse
buccale et oculaire, tachycardie), effet hyporexigène
(sérotoninergique), effets similaires à la quinidine sur le
cur et la circulation déjà à 10 à 10 mg par
kilo (bradycardie, augmentation de l'espace P-R, de l'intervalle QRS, de
l'espace Q-T à l'ECG, hypotension, fibrillation ventriculaire,
dème pulmonaire), effets mortels en 50 minutes par injection
intraveineuse de 20 mg par kilo, effets mortels chez 7% des animaux ayant
présenté des effets secondaires (Johnson, 1990).
-
Neuroleptiques: désinhibition et facilitation des productions
comportementales à bas dosage; sédation, confusion et signes
extrapyramidaux à fort dosage.
-
IMAO-B (sélégiline): aucun effet secondaire notable.
Thérapies.
Elles seront essentiellement de trois types: comportementales, cognitives et
systémiques.
1. Thérapie comportementale.
Elle va travailler directement sur les comportements à l'origine du
trouble anxieux, en agissant sur les stimuli déclencheurs et sur les
conséquences.
Elle peut être mise en place dans les trois contextes: départ,
retour et séjour à la maison. Une approche ne sera pas
proposée ici, celle qui punit les nuisances comportementales
causées par le chien; en effet certains auteurs proposent au
propriétaire de simuler une fausse sortie et de guetter les nuisances,
de revenir à ce moment et de punir le chien. Cette approche purement
symptomatique travaille sur des comportements-conséquences, non sur des
comportements-causes du syndrome anxieux; elle a très peu d'effet.
Dès lors je m'attacherai à ne citer que les thérapies
comportementales réellement efficaces.
11. Contexte de départ.
-
Supprimer le rituel de départ.
-
Indifférence aux demandes d'attention du chien dans la demi heure
précédant le départ.
12. Contexte de retour.
-
Supprimer le rituel de retour.
-
Extinction: indifférence totale aux demandes d'attention du chien
jusqu'à ce qu'il soit calme.
-
Arrêt de toute punition au retour, quelques soient les nuisances.
-
Arrêt de tout nettoyage en présence du chien: la posture de
nettoyage, accroupi, ressemble à un appel au jeu; or l'émotion du
moment étant à l'irritation, le message est double et paradoxal.
13. Contexte du séjour à la maison
-
Ne pas répondre aux demandes d'attention, de jeu, de contact social du
chien.
-
Le client décide lui-même les moments d'interaction.
-
Le client interdit à son chien de le suivre partout, si
nécessaire en punissant.
-
Désensibilisation aux indices de départ.
2. Thérapie cognitive.
Elle n'agit pas directement sur le comportement, mais par
l'intermédiaire des processus d'intégration des données,
par la cognition. Elle a essentiellement les membres de
l'écosystème comme destinataires.
Thérapie cognitive à l'attention des personnes.
-
Identification des émotions et pensées automatiques des clients
lorsque le chien émet des comportements spécifiques: accueil
"joyeux", accueil "coupable", etc.
-
Travaillez avec ces émotions et ces pensées automatiques.
3. Thérapie systémique.
Les thérapies systémiques prennent en charge le système
entier, la famille dans laquelle vit le chien. Elles se basent sur l'importance
qu'a un porteur de symptôme - dans ce cas ci le chien - sur
l'équilibre de la famille. Chacun peut tenter d'évaluer la
fonction de l'animal dans le système et également la fonction
équilibrante du symptôme pour le système. Parfois, en
effet, vaut-il mieux se préoccuper d'un animal-problème que de
problèmes de couples ou d'autres problèmes familiaux. Enfin, dans
le cas d'un hyperattachement réciproque entre le chien et la figure
d'attachement, il faut pouvoir identifier la nécessité
homéostatique de cet hyperattachement pour le client, afin de
préserver son équilibre et celui du système. A ce moment,
les stratégies thérapeutiques et le choix des médications
devient dépendant de ce critère prépondérant.
Les thérapies systémiques sont réservées à
des spécialistes, c'est à dire des thérapeutes
formés dans ce paradigme très particulier et dans ses techniques.
Pour un vétérinaire non formé, il vaut mieux s'adjoindre
l'aide en co-thérapie d'un psychiatre ou d'un psychologue
spécialisé dans ce domaine.
Pronostic.
Cette fois encore, le modèle de pensée sera à la base de
l'élaboration du pronostic. Dans le modèle français, le
syndrome anxiété de séparation est guéri dès
que le chien présente des comportements adultes et se
hiérarchise. Par contre s'il continue à recevoir des
privilèges malgré son arrivée à l'âge adulte,
il pourrait très bien présenter par la suite des troubles de la
hiérarchie, se présentant également avec des vocalises,
des destructions, des souillures lors d'isolement, mais l'analyse
éthologique fine permettra de voir la différence.
Dans le modèle anglo-saxon, le syndrome anxiété de
séparation pourrait très bien ne jamais guérir.
Conclusions.
Les mots "anxiété de séparation" n'ont pas la
même sémantique et n'évoquent pas la même
représentation dans le modèle anglo-saxon et le modèle
français. Tenter de confronter les deux modèles est une gageure.
En raison de ces différences essentielles de représentation, les
traitements, les thérapies, le pronostic, les résultats des
expérimentations cliniques doivent être très
différents.
Il conviendrait de changer les terminologies pour se comprendre.
L'anxiété de séparation dans le modèle
français et le DSM se ressemblent. L'anxiété de
séparation dans le modèle anglo-saxon pourrait s'appeler
"les troubles anxieux relatifs à la séparation" (en
anglais: separation related anxiety disorders).
Références:
-
reference to the Diagnostic Criteria from DSM-IV
TM
, American psychiatric association, 1994.
Johnson L. Tricyclic antidepressant toxicosis. Vet. Clin. North Am.: Small
Animal Practice, 20, n°2, 393-403 (1990).
Overall KL. Clinical behavioral medicine for small animals. Mosby 1997.
Pageat P. Pathologie du comportement du chien. Le Point
Vétérinaire, 1995.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste
|