L'anxiété de séparation chez le chien,
une analyse multi-modèles

Dr Joël Dehasse, vétérinaire comportementaliste
http://www.geocities.com/joeldehasse/a-francais/anxsep.html
Voir articles grand public n° 13 et 48.
Introduction
Les termes "anxiété de séparation" n'ont pas la même valeur sémantique en France et dans les pays d'obédience anglo-saxonne. Quelle est la signification du mot anxiété? Et séparation signifie-t-il isolement? D'autre part, n'est ce pas normal pour un animal social comme le chien de ne pas apprécier d'être isolé de ses congénères? Dans cet article, je vais définir ce qui se cache derrière ses mots.

Définitions
Nous avons à définir les deux mots qui précisent la dénomination de la pathologie "anxiété de séparation"
Séparation:
La séparation est le résultat de la distanciation de deux ou plus de deux éléments joints (mêlés, ensemble). Le chien est-il séparé de:
    • Tout le monde, c'est à dire qu'il est seul
    • Qui que ce soit, c'est à dire que la présence de n'importe qui l'apaise
    • Quelqu'un en particulier, seul individu qui peut l'apaiser, cet individu étant un humain ou un animal
La durée de cette séparation doit aussi être définie:
    • Un période courte
    • N'importe quelle durée
    • Une durée bien spécifique
Et il faut préciser l'âge du chien qui subit cette séparation:
    • Un chiot
    • Un chien pré-pubère
    • Un chien jeune adulte après la puberté
    • Un chien adulte
    • Un chien âgé
L'anxiété présente des définitions différentes suivant le modèle auquel on se réfère. Je reprendrai à Karen Overall ses définitions pour le modèle anglo-saxon et à Patrick Pageat les siennes pour le modèle français.
Dans le modèle anglo-saxon, les troubles anxieux se déclinent sous les noms de: anxiété normale, peur, phobie, anxiété pathologique, trouble panique, et anxiété généralisée.
Dans le modèle français, on retrouve la crainte, la peur, la phobie, l'anxiété paroxystique, l'anxiété intermittente et l'anxiété permanente.
Une troisième modèle est celui de la psychiatrie humaine, représenté par le manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux, le DSM, dans sa 4 ème
édition. Il reconnaît la peur, les troubles anxieux dont font partie: l'attaque de panique, la phobie spécifique, le trouble obsessionnel-compulsif, l'anxiété généralisée et l'hypocondrie.
Un quatrième modèle est éthologique et définit deux émotions normales, que sont la crainte et la peur.
    • La crainte est la réaction en face d'un objet, d'un stimulus, d'un contexte stressant, en milieu ouvert, accompagné de réponses autonomes mineures et de comportements adaptatifs, comme la fuite et l'agression. La crainte n'empêche pas d'explorer le stimulus après la première réaction d'autodéfense.
    • La peur est une réaction également orientée par un objet, un stimulus ou un contexte, lorsque tout évitement ou échappement est impossible; elle s'accompagne de réponses autonomes importantes et de comportements d'autodéfense comme l'inhibition ou l'agression par peur, ainsi que de la production éventuelle de comportements substitutifs.
Les autres terminologies appartiennent à la pathologie.
    • La phobie est, autant suivant le DSM que P. Pageat, une réaction analogue à la crainte ou à la peur, en présence ou en anticipation d'un objet, d'un stimulus ou d'un contexte déterminé et objectivable. Pageat distingue des phobies simples, lorsque le groupe de stimuli appartient au même groupe sensoriel (bruits d'explosions par exemple), et des phobies complexes, lorsque ces groupes de stimuli appartiennent à des groupes sensoriels différents et/ou lorsqu'il y a généralisation d'un groupe de stimuli à un autre concomitant. La définition anglo-saxonne est différente; il s'agit "de réactions de peur intenses et de développement rapide qui ne s'éteignent pas par une exposition graduelle au cours du temps", c'est à dire par le processus d'habituation.
    • L'attaque de panique, écrit le DSM, est une période d'inconfort ou de peur intense au cours de laquelle des signes autonomes se développement rapidement pour atteindre un maximum après une dizaine de minutes. Cette crise dominée par des signes neurovégétatifs a été définie comme anxiété paroxystique par Pageat. Je n'ai pas trouvé de définition précise dans Overall.
    • Le trouble anxiété généralisée est, dans le DSM, constitué de tension, d'appréhensions, d'inquiétude, d'anticipation de dangers inconnus, de signes neurovégétatifs, de nervosité, de vigilance, d'irritabilité, de troubles du sommeil, entraînant des handicaps sociaux. Le modèle anglo-saxon en fait un trouble accompagné d'hyperréactivité neurovégétative, d'une augmentation de l'activité motrice, de la vigilance, de l'exploration, qui interfère avec un nombre d'interactions sociales. Il n'y a pas de définition comparable dans le modèle français, même si, nous le verrons, l'anxiété intermittente, anciennement appelée anxiété globale, peut s'en rapprocher.
    • L'anxiété est définie par Pageat comme un état réactif, comparable à la peur, en réponse à toute variation du milieu externe ou interne. Elle entraîne une invalidation de l'individu qui en souffre. Je dirais que l'on peut reconnaître certains états anxieux au fait qu'il s'agit de comportements de peur à des stimuli parfois objectivables, mais variables: un jour c'est tel stimulus, un autre jour c'est tel autre. Pageat modélise l'anxiété en trois stades suivant l'invalidation dans le temps: l'anxiété paroxystique, l'anxiété intermittente et l'anxiété permanente.
    • L'anxiété intermittente est constituée d'un état anxieux, dont l'invalidation est temporaire, accompagné d'agression d'autodéfense (irritation et/ou peur), de réponses autonomes, et d'un état de vigilance accrue qui, lui, est permanent.
    • L'anxiété permanente est un état anxieux, dont l'invalidation est continue, caractérisé par un état d'inhibition et par la présence de comportements de substitution (boulimie et auto-léchages, entre autres). Il n'y a pas d'états comparables dans le DSM ou dans le modèle anglo-saxon.
    • Le trouble obsessionnel compulsif est, dans le DSM, un ensemble d'idées récurrentes, persistantes, absurdes, envahissantes, entraînant des activités répétitives, stéréotypées, sans plaisir et sans apaisement. La définition est reprise dans le modèle anglo-saxon. Pageat semble refuser cette définition en raison de l'impact cognitif des idéations dont nous n'avons aucune objectivation chez l'animal. Les activités stéréotypées existent néanmoins chez le chien et on peut en retrouver dans l'anxiété permanente.
Une fois définis ces terminologies de base qui montrent déjà la séparation des différents modèles, ils nous faut envisager la terminologie complète "anxiété de séparation".
Le DSM a une définition; il s'agit d'un trouble du développement, ayant débuté avant l'âge de 18 ans, accompagné d'anxiété, de détresse, de peur, de refus d'aller dormir, lors de la séparation, ou l'anticipation de séparation, de figures d'attachement majeures ou de la maison.
Dans le modèle français, il s'agit d'un trouble anxieux lié chez un chien en période prépubertaire, lié à la persistance de l'attachement primaire, accompagné d'infantilisme et de signes de détresse et de réponses autonomes lors de la séparation, ou de l'anticipation de séparation, de la personne d'attachement (et elle exclusivement).
La définition dans le modèle anglo-saxon est très différente. Il s'agit d'un trouble anxieux, accompagné de signes comportementaux et physiques de détresse exprimés par le chien en absence ou impossibilité d'accès ou anticipation de séparation du client; les manifestations sont plus sévères dans les 20 minutes suivant la séparation. Dans cette définition, le critère "attachement" est exclu.
La différence entre les deux modèles en médecine vétérinaire rend difficile, voire impossible, toute discussion et compréhension. Est-ce important?

Importance de la modélisation
Le modèle, le paradigme, va affecter
  • Les propositions et stratégies thérapeutiques
  • La modélisation du trouble au niveau neurotransmission et endocrinien
  • Le choix d'une médication psychotrope
  • Les résultats d'études comparatives et d'expérimentations cliniques
Comment résoudre ces difficultés? Parmi les solutions possibles pour résoudre les difficultés inhérentes aux différences de paradigmes, je propose ci-après une analyse de la problématique en partant de la base, c'est à dire des symptômes, pour remonter à la modélisation. C'est une approche multisymptomatique qui permettra d'apporter des solutions pratiques.

Signes et symptômes des troubles anxieux liés à la séparation
Ces symptômes se retrouvent chez le chien et dans son écosystème.
Chez le chien, ces symptômes sont divisibles en deux catégories: liés au contexte de la séparation ou non liés à ce contexte.

Signes chez le chien.
1. Symptômes liés au contexte de la séparation
11. Signes productifs
Destructions dispersées liées à des comportements exploratoires (léchages, mâchonnements, grattages du sol ou des murs, …).
Destructions focalisées au niveau des issues, liées à des tentatives d'échappement (griffades des portes, …).
Vocalisations de détresse (jappements, aboiements aigus, hurlements, …).
Activités locomotrices: déambulations, retournements des tapis, …
12. Signes déficitaires
Manque de vocalisations, à l'exception de plaintes.
Inhibition locomotrice: le chien reste à la même place, sans bouger, quasiment tout le temps de la séparation, généralement en decubitus ventral ou latéral, mais sans dormir.
Hyporexie ou anorexie, hypodipsie ou adipsie.
13. Signes liés à des réponses autonomes
Eliminations de détresse (miction et/ou défécation de stress, en petites quantités éparpillées sur le trajet du chien), parfois énurésie et/ou encoprésie.
Vidange des sacs anaux.
Salivation plus ou moins abondante.
Dyspepsie, diarrhée, halètements, etc.
14. Signes liés à des activités de substitution
Boulimie, pollakidipsie (prise fréquente de boisson) accompagnée ou non de polydipsie.
Auto-léchages avec trois stades d'évolution progressive, de l'humidification du poil, au granulôme de léchage à la stéréotypie de léchage entraînant des automutilations parfois sévères.
Activités locomotrices généralement stéréotypées: déambulations en cercle, vocalises, etc.
15. Signes en relation avec le départ
Signes d'excitation avec réponses du propriétaire, évoluant en rituels de départ.
Signes de détresse et réactions autonomes légères en anticipation de la séparation et se conditionnant aux indices de départ (prendre un manteau, se saisir de ses clés, …).
16. Signes en relation avec le retour
Accueil avec excitation, appelée "joie" par les propriétaires, mais constituée en fait de comportements non régulés, évoluant en rituel de retour.
Comportements d'apaisement, de soumission, d'échappement et d'évitement lorsque le propriétaire montre une vigilance accrue, présente des signes d'irritabilité ou punit le chien au retour.

2. Symptômes chroniques, voire permanents, non liés directement à la séparation.
21. Persistance de l'attachement primaire
Pour bien comprendre ces signes, il faut définir l'ontogenèse de l'attachement et du détachement, ce qui sera le sujet du chapitre suivant. Je ne reprends ici que les signes caractéristiques:
Le chien suit la figure d'attachement partout, d'une pièce à l'autre, même dans les toilettes, …
Il présente une vigilance accrue lorsque la figure d'attachement se déplace ou se prépare à bouger. Il ne se repose que lorsque la figure d'attachement reste immobile.
Le chien présente des comportements exploratoires centrés sur la figure d'attachement, se rapprochant sans cesse d'elle, s'apaisant et retournant explorer à petite distance (comportements exploratoires en étoile).
22. Infantilisme
Au moment ou après l'âge physiologique de la puberté, le chien présente une absence de comportements sexuels, une absence de hiérarchisation, un manque d'exhibition des postures et des comportements dominants, des interactions avec les autres chiens et humains à l'aide de postures d'apaisement et d'appel aux jeux. Il peut présenter des séquences partielles de défense territoriale.
23. Signes anxieux non directement dépendants du contexte de séparation
Réponses autonomes et attaques de panique.
Comportements de substitution.
Inhibition, manque d'initiative.
Comportements d'agression d'autodéfense.
Des troubles du sommeil, essentiellement des réveils nocturnes, alors que le cycle en lui-même est respecté.

Signes dans l'écosystème.
On retrouve bien entendu les rituels de départ, les rituels de retour et l'hyperattachement.
  1. Les signes liés au contexte du départ.
  2. propriétaire marque le moment du départ de vocalises, de comportements de don d'attention divers (se pencher vers, caresser, parler, donner un objet, …). L'effet est d'augmenter intensivement l'attention que reçoit le chien avant la séparation, constituée, elle, d'une disparition quasi totale de cette attention (à part la persistance des odeurs sociales).
2. Les signes liés au contexte du retour.
L'acceptation et le renforcement positif de l'accueil excité du chien, établissant progressivement le rituel de retour.
La punition du chien, après l'acte de nuisance, lorsque les nuisances sont découvertes ou lorsque le chien présente des comportements d'apaisement, interprétés avec anthropomorphisme comme des comportements de culpabilité.
L'augmentation de vigilance du propriétaire qui recherche activement des nuisances.
  1. L'hyperattachement.
  2. peut être culturel. Le chien a une représentation d'équivalent ou de leurre de bébé ou d'enfant. Les gens n'ont pas assez de connaissance sur l'ontogenèse de l'attachement et du détachement chez le chien.
  3. L'hyperattachement peut être individuel. Les raisons majeures sont le besoin d'être aimé, une tendance anxieuse ou dépressive des propriétaires, la nécessité d'avoir un chien thérapeute. Ces raisons ne sont pas limitatives.

L'attachement et le détachement.
Je reviens ici sur quelques définitions liées à l'attachement et au détachement.
Ontogenèse de l'attachement primaire.
La mère s'attache à ses chiots dès la naissance. Sans doute le chiot est-il producteur d'une phéromone d'attachement? Ensuite, après quelques jours, peut-être seulement à l'ouverture des yeux, le chiot s'attache à sa mère. Elle devient la figure apaisante, qui permet l'exploration en étoile autour de son pôle sécurisant.
Ontogenèse du détachement
A l'éruption des dents de lait, la tétée devient douloureuse et la mère s'éloigne activement de sa portée. Cette distanciation se poursuit progressivement par l'enseignement des postures de soumission et du contrôle de soi. Le détachement s'établit progressivement ou brusquement au moment de la puberté. Les adultes, sans doute activés par la production de phéromones sexuelles chez les adolescents, les querellent jusqu'à ce qu'ils se hiérarchisent correctement. A ce moment, l'attachement monoparental est rompu au profit d'un attachement au groupe et à son territoire.
En cas d'absence de détachement, le chien pré-adolescent semble maintenu dans une situation infantile artificielle. Il ne subit pas la métamorphose sexuelle et ne se hiérarchise pas correctement.
Transfert de l'attachement primaire
L'attachement primaire est transféré de la mère à un parent adoptif au moment de l'acquisition. C'est au parent adoptif de réaliser activement le détachement. C'est au groupe social d'adoption de permettre un attachement multiple et d'éviter un attachement à une figure d'attachement unique.
Attachement secondaire
C'est un attachement qui se réalise lorsque le détachement primaire a été réalisé, à l'âge normal ou de façon précoce. C'est le processus normal de transfert de l'attachement monoparental au groupe et à son habitat.
Mais le chien peut réaliser un attachement secondaire avant que le détachement primaire soit réalisé. A ce moment, la figure d'attachement n'est pas considérée comme une figure parentale ou équivalente, mais elle est néanmoins apaisante lors de contextes stressant. C'est fréquemment le cas dans le syndrome de privation.
Hyperattachement secondaire
L'attachement secondaire est devenu excessif et le chien ne trouve d'apaisement qu'en présence de la figure d'attachement; en son absence, ou en anticipation d'une distanciation, le chien présente des signes de détresse, un trouble anxieux.
Ce problème se rencontre dans des états anxieux et dépressifs, notamment chez le chien jeune en syndrome de privation ou chez le chien âgé.
Contrôle
La chien dominant ou challenger tente d'obtenir un maximum de privilèges liés à un rang élevé. Parmi ces privilèges se trouve le contrôle des déplacements des membres du groupe et particulièrement des individus du sexe opposé. Le chien, manifestant une vigilance accrue, suit sans arrêt une personne du groupe familial et manifeste des comportements d'excitation émotionnelle lors (d'anticipation) de la séparation, mimant en quelque sorte un hyperattachement. Parmi ces manifestations émotionnelles, on retrouve des réponses autonomes modérées, des éliminations sociales, des destructions focalisées des issues, du vol et mâchonnement de lingerie, etc.

Le diagnostic.
Un diagnostic est posé sur un ensemble de symptômes, jamais sur un symptôme isolé. On peut évoquer plusieurs descriptions cliniques.
Description clinique n°1:
    • Désordre apparu avant la puberté.
    • Persistance de l'attachement primaire.
    • Signes productifs de détresse lors de (l'anticipation de) la séparation de la figure d'attachement.
    • Comportements sociaux infantiles.
    • Rituels de départ et de retour.
  • tableau est celui de l'anxiété de séparation, type anxiété intermittente, dans le modèle français (Pageat).
    Description clinique n°2:
      • Désordre apparu avant la puberté.
      • Persistance de l'attachement primaire.
      • Signes déficitaires de détresse lors de (l'anticipation de) la séparation de la figure d'attachement.
      • Comportements sociaux infantiles.
      • Rituels de départ et de retour.
      • Comportements de substitution: boulimie, auto-léchage, etc..
    • tableau est celui de l'anxiété de séparation, type anxiété permanente, dans le modèle français (Pageat).
      Description clinique n°3:
        • Signes autonomes ou comportementaux de détresse lors (d'anticipation) d'absence d'accès au client
        • Destructions, éliminations, vocalises et salivation - intensifiées dans les 20 minutes qui suivent la séparation.
        • Signes d'anxiété par anticipation
      • tableau est celui de l'anxiété (généralisée) de séparation dans le modèle anglo-saxon. Il peut partiellement répondre à de nombreux syndromes dans le modèle français, par exemple: anxiété avec hyperattachement 2aire, syndrome de privation au stade 2, trouble de la hiérarchie, syndrome hypersensibilité-hyperactivité, syndrome (dépressif) hyperattachement de l'adulte, dépression d'involution, etc.
        Description clinique n°4:
          • Signes d'anxiété lors de la séparation
          • Chien âgé
          • Perte des acquis de propreté
          • Eventuellement: troubles du sommeil, perte des interactions sociales, désorientation.
        • tableau décrit la dysfonction cognitive dans le modèle anglo-saxon.
        • on y inclut les troubles du sommeil (avec anxiété hypnagogique, cycle non respecté avec rêve précoce) et l'involution (exploration orale, perte des acquis éducatifs, …), on retrouve le tableau de la dépression d'involution du modèle français (Pageat).

          Diagnostics différentiels.
          Dans le modèle anglo-saxon, il convient de réaliser un diagnostic différentiel à partir de chaque symptôme. En voici quelques exemples non limitatifs:
            • Eliminations: apprentissage incorrect, incontinence, marquage, …
            • Destructions: jeux, hyperactivité, …
            • Vocalises: jeux, facilitation sociale, peur, …
            • Réponses autonomes: salivation, …
          Dans le modèle français, le diagnostic différentiel porte sur des syndromes, c'est à dire une collection organisée de symptômes.
            • Trouble de la hiérarchie, appelé sociopathie (Pageat). Une remarque est essentielle: le diagnostic d'anxiété de séparation et celui de trouble de la hiérarchie sont incompatibles.
            • Syndrome de privation
            • Syndrome hyperattachement de l'adulte
            • Dépression d'involution

          Traitement médical.
          La première question à se poser, en fonction du modèle auquel on se rattache, est: faut-il donner une médication?
          Il ne faut pas prescrire de médication:
          • On se trouve dans des conditions physiologiques de crainte de l'isolement chez un animal social capable d'apprendre et de trouver une homéostasie
          • Le détachement est en cours: il se produit toujours à ce moment une situation émotionnelle liée au réarrangement des relations sociales.
          Il faut prescrire une médication lorsque le chien ou le système souffrent.
          Quelle médication choisir? Plusieurs critères sont à envisager.

          1. La neurotransmission la plus affectée. En voici quelques indications majeures:
          Noradrénaline: halètements, hypervigilance, hypersensibilité, …
          Acétylcholine: activation du système digestif, …
          Dopamine: anticipation, activité locomotrice, agression d'autodéfense, stéréotypie, instrumentalisation, manque d'autocontrôle, activation du système digestif, …
          Sérotonine: hyperattachement, comportements impulsifs, agression compétitive, activités de substitution, boulimie, …

          2. Approche théorique.
          Quel est la médication de choix lors de prédominance de:
            • Noradrénaline: bêtabloquant (Propranolol, 5 à 10 mg/kg en deux prises), alpha-2-agoniste (clonidine, préparation galénique à longue durée d'action, dose de 0,15 microgramme / 10 kg/jour en deux prises).
            • Dopamine: neuroleptique, IMAO-B (sélégiline, à la dose de 0,5 mg/kg en une prise le matin).
            • Sérotonine: inhibiteur sélectif de recapture (ISRS) (fluoxétine, fluvoxamine, paroxétine), tricyclique sélectif ou à prédominance sérotoninergique (clomipramine). Toutes ces molécules sont administrées à la dose de 0,5 à 4 mg/ jour en deux prises.
            • Noradrénaline et sérotonine: tricyclique mixte non spécifique (clomipramine, amitriptyline à la dose de 0,5 à 4 mg/ jour en deux prises).
            • Noradrénaline et dopamine: IMAO-B (sélégiline)
            • Sérotonine et dopamine: association d'un tricyclique et d'un neuroleptique (clomipramine et pipanperone, à la dose de 20 à 40 mg par mètre carré de surface corporelle, en deus prises par jour), d'un ISRS et d'un neuroleptique, ou utilisation d'un tricyclique ou d'un ISRS seul, étant donné l'effet régulateur, voire inhibiteur de la sérotonine sur la dopamine.
            • Noradrénaline, dopamine et sérotonine: association d'un tricyclique mixte et d'un neuroleptique.

          3. Approche pragmatique.
          Le chien ne venant pas seul à la consultation, il faut tenir compte de la demande du propriétaire, gêné par les nuisances. Il faut donc se demander si un seul traitement médicamenteux sera suffisant, s'il faut faire évoluer le traitement au cours du temps et avec quel traitement commencer? Quelle est l'urgence? Quels sont les signes qui peuvent attendre? Comment satisfaire le client et améliorer la pathologie émotionnelle du chien et débuter un détachement?
            • La satisfaction du client. Il est rare que le client consulte au tout début des signes, en général il attend d'être épuisé par les nuisances pour prendre votre avis. Dès lors, on doit pouvoir garantir une amélioration rapide des signes productifs.
            • La plainte des voisins pour aboiements: travailler sur la neurotransmission noradrénergique et dopaminergique.
            • La plainte des clients eux-mêmes pour les destructions (noradrénergique, dopaminergique), pour insomnie (parce que eux-mêmes ne dorment plus) (sérotoninergique, histaminergique, noradrénergique), pour granulôme de léchage (sérotoninergique, dopaminergique), etc.
          Certains médicaments ont des effets directs ou tardifs.
            • Effets directs: effets sédatifs histaminergiques, effets anti-impulsifs sérotoninergiques, effets dopaminergiques de réduction des productions comportementales locomotrices.
            • Effets retards de 3 à 6 semaines: effet régulateur dopaminergique et sérotoninergique de la sélégiline, effet régulateur sérotoninergique (down-regulation) des ISRS et des tricycliques.

          4. Effets secondaires.
          Les effets secondaires varient avec classe de molécules et la molécule elle-même. Il m'est impossible de reprendre ici tous ces signes en détails.
            • ISRS: effets sédatifs et hyporexigènes.
            • Tricycliques: effets sédatifs et réduction du jeu; augmentation des symptômes anxieux pendant 3 semaines (effet activateur noradrénergique); effets anticholinergiques similaires à l'atropine (rétention urinaire et fécale, sécheresse buccale et oculaire, tachycardie), effet hyporexigène (sérotoninergique), effets similaires à la quinidine sur le cœur et la circulation déjà à 10 à 10 mg par kilo (bradycardie, augmentation de l'espace P-R, de l'intervalle QRS, de l'espace Q-T à l'ECG, hypotension, fibrillation ventriculaire, œdème pulmonaire), effets mortels en 50 minutes par injection intraveineuse de 20 mg par kilo, effets mortels chez 7% des animaux ayant présenté des effets secondaires (Johnson, 1990).
            • Neuroleptiques: désinhibition et facilitation des productions comportementales à bas dosage; sédation, confusion et signes extrapyramidaux à fort dosage.
            • IMAO-B (sélégiline): aucun effet secondaire notable.

          Thérapies.
          Elles seront essentiellement de trois types: comportementales, cognitives et systémiques.
          1. Thérapie comportementale.
          Elle va travailler directement sur les comportements à l'origine du trouble anxieux, en agissant sur les stimuli déclencheurs et sur les conséquences.
          Elle peut être mise en place dans les trois contextes: départ, retour et séjour à la maison. Une approche ne sera pas proposée ici, celle qui punit les nuisances comportementales causées par le chien; en effet certains auteurs proposent au propriétaire de simuler une fausse sortie et de guetter les nuisances, de revenir à ce moment et de punir le chien. Cette approche purement symptomatique travaille sur des comportements-conséquences, non sur des comportements-causes du syndrome anxieux; elle a très peu d'effet. Dès lors je m'attacherai à ne citer que les thérapies comportementales réellement efficaces.
          11. Contexte de départ.
            • Supprimer le rituel de départ.
            • Indifférence aux demandes d'attention du chien dans la demi heure précédant le départ.
          12. Contexte de retour.
            • Supprimer le rituel de retour.
            • Extinction: indifférence totale aux demandes d'attention du chien jusqu'à ce qu'il soit calme.
            • Arrêt de toute punition au retour, quelques soient les nuisances.
            • Arrêt de tout nettoyage en présence du chien: la posture de nettoyage, accroupi, ressemble à un appel au jeu; or l'émotion du moment étant à l'irritation, le message est double et paradoxal.
          13. Contexte du séjour à la maison
            • Ne pas répondre aux demandes d'attention, de jeu, de contact social du chien.
            • Le client décide lui-même les moments d'interaction.
            • Le client interdit à son chien de le suivre partout, si nécessaire en punissant.
            • Désensibilisation aux indices de départ.

          2. Thérapie cognitive.
          Elle n'agit pas directement sur le comportement, mais par l'intermédiaire des processus d'intégration des données, par la cognition. Elle a essentiellement les membres de l'écosystème comme destinataires.
          Thérapie cognitive à l'attention des personnes.
            • Identification des émotions et pensées automatiques des clients lorsque le chien émet des comportements spécifiques: accueil "joyeux", accueil "coupable", etc.
            • Travaillez avec ces émotions et ces pensées automatiques.

          3. Thérapie systémique.
          Les thérapies systémiques prennent en charge le système entier, la famille dans laquelle vit le chien. Elles se basent sur l'importance qu'a un porteur de symptôme - dans ce cas ci le chien - sur l'équilibre de la famille. Chacun peut tenter d'évaluer la fonction de l'animal dans le système et également la fonction équilibrante du symptôme pour le système. Parfois, en effet, vaut-il mieux se préoccuper d'un animal-problème que de problèmes de couples ou d'autres problèmes familiaux. Enfin, dans le cas d'un hyperattachement réciproque entre le chien et la figure d'attachement, il faut pouvoir identifier la nécessité homéostatique de cet hyperattachement pour le client, afin de préserver son équilibre et celui du système. A ce moment, les stratégies thérapeutiques et le choix des médications devient dépendant de ce critère prépondérant.
          Les thérapies systémiques sont réservées à des spécialistes, c'est à dire des thérapeutes formés dans ce paradigme très particulier et dans ses techniques. Pour un vétérinaire non formé, il vaut mieux s'adjoindre l'aide en co-thérapie d'un psychiatre ou d'un psychologue spécialisé dans ce domaine.

          Pronostic.
          Cette fois encore, le modèle de pensée sera à la base de l'élaboration du pronostic. Dans le modèle français, le syndrome anxiété de séparation est guéri dès que le chien présente des comportements adultes et se hiérarchise. Par contre s'il continue à recevoir des privilèges malgré son arrivée à l'âge adulte, il pourrait très bien présenter par la suite des troubles de la hiérarchie, se présentant également avec des vocalises, des destructions, des souillures lors d'isolement, mais l'analyse éthologique fine permettra de voir la différence.
          Dans le modèle anglo-saxon, le syndrome anxiété de séparation pourrait très bien ne jamais guérir.

          Conclusions.
          Les mots "anxiété de séparation" n'ont pas la même sémantique et n'évoquent pas la même représentation dans le modèle anglo-saxon et le modèle français. Tenter de confronter les deux modèles est une gageure. En raison de ces différences essentielles de représentation, les traitements, les thérapies, le pronostic, les résultats des expérimentations cliniques doivent être très différents.
          Il conviendrait de changer les terminologies pour se comprendre. L'anxiété de séparation dans le modèle français et le DSM se ressemblent. L'anxiété de séparation dans le modèle anglo-saxon pourrait s'appeler "les troubles anxieux relatifs à la séparation" (en anglais: separation related anxiety disorders).

          Références:
          1. reference to the Diagnostic Criteria from DSM-IV TM , American psychiatric association, 1994.
          2. Johnson L. Tricyclic antidepressant toxicosis. Vet. Clin. North Am.: Small Animal Practice, 20, n°2, 393-403 (1990).
          3. Overall KL. Clinical behavioral medicine for small animals. Mosby 1997.
          4. Pageat P. Pathologie du comportement du chien. Le Point Vétérinaire, 1995.


          Dr Joël Dehasse
          Médecin vétérinaire comportementaliste

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